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– Par Claude Marcil –

Les premiers Hassidim sont arrivés à Montréal en novembre 1941, en pleine guerre, directement du Japon… Tout de noir vêtus et arborant de vastes chapeaux de fourrure lors de leurs fêtes, ils intriguent depuis les journalistes, surtout ceux qui habitent Outremont et le Mile End où les Hassidim sont concentrés. Intrigués mais pas curieux nos journalistes. Il a fallu attendre 44 ans avant qu’une première équipe de télévision, venue de Québec par ailleurs, fasse un premier long reportage animé par Anne-Marie Dussault sur les Hassidim de Montréal. Il a été diffusé un dimanche après-midi…

Depuis 1941, la bibliothèque d’Outremont a acheté quelques livres sur les Hassidim, des Outremontais ont appris quelques mots utiles comme « erouv », des gauchistes  ont découvert avec joie que certains Hassidim étaient antisionistes et, avec ce lourd bagage de connaissances, l’unanimité s’est rapidement faite sur les hommes et les femmes en noir, comme disent les Israéliens, d’autant plus que ces derniers ne daignaient pas les regarder encore moins leur parler. L’histoire fascinante des Hassidim mérite beaucoup mieux.

À l’époque de la fondation de Québec, en 1608, la moitié des Juifs vit dans l’empire turc, l’autre moitié en Europe, surtout à l’est, en Pologne, en Ukraine et en Lituanie. En 1648, les Ukrainiens dominés par les Polonais et administrés par les Juifs, se révoltent. C’est le début d’un massacre à grande échelle. 100, 000 Juifs sont exterminés, 300 communautés disparaissent.

Le moral des Juifs coule à pic. Les choses ne pourraient pas être pires. Sûrement, le temps est venu pour que le Messie vienne les sauver. Soudain, les Juifs sont bouleversés par une nouvelle incroyable : le Messie est arrivé, il vient de l’Orient, d’Izmir en Turquie; il s’appelle Sabataï Tsevi.

C’est un homme brillant, charismatique et bipolaire. Cet instable commence à se promener un peu partout au Moyen-Orient et en 1651, on le retrouve à Gaza. Là, il rencontre Nathan, un autre mystique sérieusement dérangé qui le convainc qu’il est le Messie. Nathan se met à écrire aux communautés juives de l’Europe et de l’Orient pour leur annoncer que le Messie tant attendu est enfin arrivé.

C’est le délire chez les Juifs : processions monstres, relecture approfondie de tous les textes concernant le Messie, délégations, une agitation sans précédent secoue l’ensemble du monde juif, sauf les rabbins.

Le rabbin n’est pas un prêtre, un homme sacré comme chez les catholiques; il passe le plus clair de son temps à étudier la Bible et le Talmud, gros livres arides qui regroupent les commentaires et les interprétations de générations de rabbins sur la Bible. Son rôle est surtout pédagogique et pastoral: il est celui qui donne la direction spirituelle et religieuse. Et la direction de Sabataï les inquiète profondément.

L’exalté Sabataï, ne doutant de rien, obtient une audience du sultan de l’empire turc. Il demande tout bonnement qu’on le reconnaisse comme le Messie et qu’on lui remette la terre d’Israël.

Le sultan somme tout bonnement Sabataï de choisir entre la conversion à l’Islam et la mort. Sabataï se convertit. Les Juifs d’Europe qui avaient cru en lui sombrent dans une profonde déprime. Puis, l’espoir rebondit.

Un des disciples de Sabataï, Jacob Frank prend la relève. Il se prétend le Messie attendu. Les fidèles accourent. Puis, il se convertit lui aussi, mais au christianisme.

Une foi aride

Traumatisme chez les Juifs. Les rabbins qu’on n’avait pas écoutés pendant ce tapage messianique blâment le mysticisme dont ils se méfieront désormais comme la peste et replongent dans l’étude de la Bible et du Talmud. Mais depuis les massacres des Ukrainiens, la plupart des Juifs vivent dans la misère; ils n’ont plus le temps d’étudier. L’étude, autrefois répandue, est maintenant réservée à de petits cercles restreints. Or, pour les Juifs, étudier c’est prier. Le Talmud dit que l’ignorant ne peut être pieux.

Les rabbins deviennent autoritaires et distants, dédiés plus aux textes qu’au peuple. S’ils attachent de l’importance à l’interprétation plus ou moins subtile du Talmud, ils se préoccupent très peu des besoins spirituels des Juifs pauvres, l’immense majorité, qui ne peuvent passer la journée dans les livres sacrés, la voie royale de la communication avec le ciel. Aussi, ils pratiquent leur religion sans spiritualité et sans joie.

Un parfait inconnu va déclencher une réaction à lui seul et réintroduire la spiritualité, et toute une,  dans la vie quotidienne des Juifs.

NAISSANCE DU HASSIDISME

Un faiseur de miracles

Kociol_kiezmarskiego_aIsraël ben Eliézer est né en 1698 dans les montagnes des Carpathes, en Podolie, (dans le sud-ouest de l’actuelle Ukraine). C’est alors le trou de l’Europe. Les Juifs du coin, misérables et peu instruits sont, au propre comme au figuré, à des milliers de kilomètres des bastions polonais et lithuaniens de l’étude de la Bible et du Talmud.

Les parents d’Israël décèdent alors qu’il est assez jeune. Il est alors pris en charge par la communauté; il acquiert des notions d’hébreu, et le goût des promenades en forêt. Parvenu à l’âge adulte, il devient l’auxiliaire de l’instituteur, accompagne les enfants à l’école juive et leur fait réciter leur alphabet. Il se marie avec une fille de bonne famille et part s’installer avec elle dans une cabane, dans les montagnes des Carpates. Israël y vit pauvrement d’extraction de la chaux et s’intéresse aux doctrines mystiques.

The Ba'al Shem Tov- jewish agency.orgIsraël aurait été, selon certaines sources, guérisseur et faiseur de miracles, employant des combinaisons de noms divins d’où son titre de « Maître du Bon Nom [de Dieu] » (Baal Chem Tov). Au bout de quelques années, le couple retourne vivre dans le village où sa femme ouvre une auberge.

Il est dans la trentaine lorsqu’il commence à révolutionner la pensée religieuse juive. Le grand journaliste Albert Londres en reportage dans cette région perdue a raconté cette période de la vie d’Eliezer alors qu’il prend le nom de Baal Chem Tov :

-Quitte ta hache, lui dit-il (Dieu), prends une voiture, traverse les Carpates et va en Pologne dire à mes Juifs qu’ils ne savent plus me parler. Leur âme est triste comme leur habit. De peur de rencontrer mon regard, leurs yeux s’accrochent au bout de leurs bottes. Ils pleurent, ils geignent. Courbés je ne sais sous quel poids, ils marcheront bientôt à quatre pattes. Ce peuple qui devait être joyeux d’être mon élu, je le vois plongé dans l’affliction. La lumière s’efface du visage de mes Juifs, et les barbes sèchent à leur menton.

« Dis-leur que je leur ordonne de relever la tête. Au lieu de gémir, ils chanteront; au lieu de trembler, ils danseront; au lieu de jeûner, ils se griseront. Assez de larmes et vive la joie »

Bal Chem Tov posa sa hache. Il monta dans une voiture et partit à travers la Pologne. Frappant aux portes des synagogues, il cria:

-Holà! Que faites-vous le front contre terre? Je vous apporte la parole de l’Éternel. Relevez-vous et dansez, mangez, buvez, fumez, chantez! Laissez reposer votre esprit: il est racorni depuis le temps qu’il ergote, mais votre cœur est frais; écoutez ses élans.

« Fermez le Talmud! » (…)

Israël presque en entier écouta Bal Chem Tov (…) Puis il se mit à prier en dansant, en mangeant, en buvant, en fumant en chantant. Ce fut la naissance du hassidisme. »

(P. 53, Le Juif errant est arrivé, Albert Londres, 10/18, 1975, 1929)

Baal Chem Tov voyage d’un village juif à un autre. Il prodigue conseils et consolations, mais également amulettes et remèdes. Le Frère André de son époque!

Le personnage est humble et simple, sa piété et sa foi sont grandes. Il se sert de son imagination féconde pour mettre à la portée de tous des idées jusqu’alors complexes et l’apanage de ceux qui peuvent étudier.

Pour les rabbins, les massacres des Cosaques avaient été causés par les péchés des Juifs. Baal Chem Tov rejette cette explication. De même, il condamne l’ascétisme que plusieurs Juifs avaient adopté pour expier leurs péchés. Dieu doit être servi dans la joie et non pas dans la mortification.

Chasidic Dance by Zalman Kleinman
“Chasidic Dance” by Zalman Kleinman

Il enseigne que les gestes du Juif le plus pauvre, performés correctement et sincèrement, sont égaux à ceux des plus grands érudits. Pour Baal Chem Tov, il n’est pas nécessaire d’étudier la Bible et ses commentaires pour rencontrer Dieu.  Bref on sert Dieu quand on mange, quand on boit, quand on chante, on danse, quand on aime etc. Baal Chem Tov conseille d’amener ainsi Dieu dans tous les aspects de sa vie. Ses paroles frappent droit au cœur les Juifs de l’Est démoralisés et persécutés. Plusieurs sont convaincus. On les appelle les Hassidim (les pieux), car ils prient dans la joie, pour eux, une belle manière d’approcher Dieu. La réputation de Baal Chem Tov s’accroît rapidement.

Mais il scandalise les rabbins et les Juifs instruits. En  diminuant l’importance de l’étude, il érode la discipline traditionnelle et défie l’autorité des rabbins. Pour les rabbins et les Juifs instruits, le Hassidisme est le triomphe de l’ignorance sur la connaissance. Le Talmud dit que l’ignorant ne peut être pieux. Les Hassidim prêchent l’inverse.

Aussi, l’abandon de l’étude préoccupe les rabbins. Le mouvement hassidique est composé principalement de Juifs simples non instruits et les rabbins craignent que l’étude de la Bible et de ses commentaires ne soient remplacés par le chant et la danse. Pour eux, une religion qui serait une synthèse du cœur et de l’esprit deviendra fatalement une religion du cœur sans esprit.

De plus, les Hassidim exaltent leurs émotions religieuses et prient avec enthousiasme et ferveur, ce qui heurte sérieusement les Juifs de l’establishment qui pratiquent un judaïsme plus austère, plus intellectuel. Ils estiment la « joie de vivre » des Hassidim incompatible avec l’étude.

Les rabbins craignent l’effondrement d’une organisation qui a soutenu le judaïsme en exil depuis deux millénaires, depuis la destruction du temple de Jérusalem. Au centre de cette organisation, la synagogue. Pour l’establishment, l’idée du judaïsme est une belle synagogue, une liturgie formelle et un décorum religieux strict.

Or, les Hassidim amènent de l’émotion à la synagogue, quand ils y viennent, car, scandale supplémentaire, ils prennent l’habitude de prier entre eux, dans n’importe quel local disponible. Bref les Hassidim ont tout pour révulser la grande majorité des rabbins.

Les rebbes

Cliquez pour agrandir la carteÀ la mort de Baal Chem Tov, en 1760, 100 000 Hassidim enthousiastes ont répandu sa bonne parole dans tout l’est de l’Europe, de la Pologne à l’Ukraine, de la Lituanie à la Roumanie. Une à une, les communautés sont conquises par les idées du hassidisme.

En même temps, celui-ci se diversifie. Apparaît alors l’ultime insulte pour les rabbins et l’élite, le Rebbe.

Selon les Hassidim, entre Dieu et les hommes, il y a un intermédiaire : c’est le tzaddick, le mentor, le rebbe (professeur), le guide spirituel des Hassidim, l’interface entre Dieu et sa communauté.

Son pouvoir est total; il n’a de compte à rendre qu’à Dieu. Ses fidèles lui sont dévoués à la vie et à la mort. Quand le Rebbe vient à mourir, un disciple éminent prend sa succession. Du moins au début. Par la suite cependant, chaque rebbe désigne un successeur, qui est généralement un de ses fils, parfois un autre membre de sa famille.

«C’est l’interprète terrestre de la volonté de Dieu. Par la solitude, il entre en contact avec l’Éternel (…) La mission d’un zadick est de diriger le peuple d’Israël. Tsars, rois, dictateurs peuvent parler, le zadick aura le dernier mot. Il est aussi guérisseur. Il discipline les maladies nerveuses. (…) Chaque rabbin miraculeux est, bien entendu, l’ennemi des autres rabbins miraculeux.» (Albert Londres, Le Juif errant est arrivé, p.135)

«Dans le monde hassidique, le rebbe est considéré à la fois comme un pape et comme un roi. Il a le dernier mot sur les affaires économiques et politiques de son groupe. Il autorise chaque mariage. Les petits garçons portent son prénom, s’échangent des photos de lui ou de sa famille. Le rebbe décide aussi pour qui la communauté vote lors des élections.» (Émilie Dubreuil. L’actualité, 15 Mars 2007.)

Les rabbins s’objectent à l’idée même d’une personne sainte, le Rebbe, et encore plus au fait qu’une personne s’élève spirituellement simplement en s’y attachant. Ils craignent ce culte de la personnalité, traditionnel chez les Hassidim, ce mysticisme, le potentiel de produire un autre faux messie auto-déclaré comme Sabataï.

En 1772, les grands rabbins en ont plein la kippah. Imposture et hérésie! Ils excommunient les Hassidim. Rien n’y fait. On va, chose inouïe, jusqu’à les dénoncer aux gouvernements. En vain.

Malgré l’opposition des rabbins et des dirigeants de la communauté, le mouvement connaît une expansion rapide. Mais, comme il n’y a pas d’organisme central, le mouvement hassidim part dans toutes les directions.

À mesure que différents maîtres apparaissent un peu partout en Europe de l’Est à divers endroits, des groupes hassidiques se forment autour d’eux et se soumettent joyeusement à ses idées particulières et aux lois de Dieu.

Le groupe porte le nom du village polonais, russe, ukrainien, où vit le rebbe : Satmar, Lubavitch, Tash, Sanz, Belz, Skvar, etc. Quand les Hassidim quitteront ces villages pour New York ou Montréal, ils emporteront le nom (les Belz, les Tash, les Satmar etc.) et les traditions du groupe avec eux.

Le rapprochement

Toil In Torah- by Isidor KaufmanÀ compter de 1850, entre les rabbins et les Hassidim, la moitié des Juifs d’Europe de l’Est, l’opposition farouche s’adoucit.

D’une part, la crainte des rabbins de voir les Hassidim évoluer vers l’hérésie à cause de leur rapport très mystique et joyeux à Dieu s’estompe. Tous les Hassidim obéissent rigoureusement aux commandements de la Bible et aux 613 commandements divins inscrits dans le Talmud qui gouvernent tous les aspects de la vie: nourriture, travail, hygiène, rapports sexuels etc.

D’autre part, une partie des Hassidim, les Loubavitch par exemple, se sont mis eux aussi à l’étude intensive de la Bible et de ses commentaires.

Et, surtout, un nouveau mouvement qui mijote à l’Ouest depuis un siècle les menace tous les deux, celui des « Lumières ».

La fin des ghettos

Au XVIIIe siècle, des penseurs comme Voltaire, Diderot, veulent remplacer la religion et la « superstition » par la raison et les sciences, et prônent la tolérance.

De leur côté, les Juifs sont peu sensibles aux sciences profanes comme au rapprochement avec les intellectuels chrétiens. Mais progressivement les esprits s’ouvrent, et certains se rapprochent du monde chrétien. En Allemagne, Moïse Mendelssohn est considéré comme un juif d’un type nouveau. Il s’intéresse aux domaines profanes tels que la littérature, la philosophie, la musique et les mathématiques, lieux d’intérêts communs à d’autres intellectuels chrétiens.

Il lutte pour la tolérance, encourage les Juifs à abandonner le yiddish et apprendre la langue allemande. Il s’efforce de développer le goût des sciences modernes. Il cherche à concilier les traditions religieuses du judaïsme avec la société européenne des Lumières. C’est le début de la réforme du judaïsme. On publie des journaux en hébreu et en yiddish où on peut lire des feuilletons romanesques destinés à véhiculer les idéologies nouvelles. Comme Mendelssohn, leur modèle, ils veulent la suppression des murs du ghetto spirituel. En attendant, il faut abolir les vrais ghettos.

L’émancipation

Si on regarde la situation des Juifs à la veille de la révolution française de 1789, on peut dire en gros que les Juifs de l’Est, Pologne, Russie, etc., vivent dans des villages juifs, ceux de l’Ouest dans des ghettos. Les ghettos sont autonomes; les Juifs y ont leurs propres institutions de la police aux écoles. Le ghetto garde les Juifs à l’intérieur et les chrétiens à l’extérieur. Les portes du ghetto sont fermées tous les soirs. Il n’y a jamais aucun intermariage et les conversions sont rarissimes.

La Révolution française fait sauter les portes du ghetto. En 1791, la Révolution française émancipe les Juifs.

Les Juifs deviennent, légalement, des citoyens comme les autres. Les guerres révolutionnaires et celles de Napoléon placent l’essentiel de l’Europe sous influence française. Partout, les ghettos sont abolis et de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer l’égalité en droits pour les Juifs. Au cours du XIXe siècle, les Juifs accèdent à l’égalité des droits et ne sont plus traités comme des citoyens de seconde zone. Pour la première fois depuis deux millénaires les Juifs qui le veulent peuvent s’assimiler.

La Haskalah

Un mouvement spirituel et social s’étend dans le peuple juif, à la fin du XVIIIe siècle en Allemagne, et au XIXe en Europe Orientale. Ils veulent la diffusion de la culture (haskalah) dans les masses populaires, la suppression des barrières qui séparaient les juifs des autres peuples, l’obtention pour les juifs de l’égalité des droits civiques. Mais, pour s’intégrer dans les sociétés chrétiennes et améliorer leurs relations avec les peuples au sein desquels ils vivent,  les Juifs de la Haskalah sont convaincus qu’ils doivent se comporter, s’exprimer et s’habiller comme leurs concitoyens.

De Paris à Vilnius, de Venise à Amsterdam, à Londres et à Varsovie, toute une légion de jeunes hommes enthousiastes veulent intégrer les Juifs dans la société européenne. Ils coupent leurs longues barbes, rangent le costume distinct qui permettait de les reconnaître partout. Ils s’habillent désormais comme leurs voisins, au grand dam des Hassidim dont le costume est « gelé » depuis le XVIII siècle. Ces Juifs gardent leur religion mais celle-ci ne doit pas entraver leur vie sociale : un juif peut être « un bon juif » même s’il renonce aux signes extérieurs marquant son appartenance.

Ils mettent de côté l’étude de la Bible, abandonnent le yiddish pour l’allemand, le français, le russe, le polonais, créent les premières écoles non-religieuses où on enseigne à côté (et non à la place) des matières juives traditionnelles, les sciences, la littérature, la philosophie, la musique, les mathématiques, et autres matières depuis toujours considérées triviales par les rabbins. Les Juifs entrent à l’université, aux parlements, aux gouvernements.

Cette émancipation n’est pas d’ailleurs du goût de certains Juifs, lesquels estiment qu’il y a un véritable danger d’assimilation et de perte de l’identité juive. Ils n’ont pas tort.

Jusqu’alors, tous les Juifs, ou presque tous, sont orthodoxes. Mais les Juifs de la Haskalah commencent à s’opposer à la domination des rabbins sur la vie juive alors que pour les rabbins, cette domination est justement le judaïsme.

On introduit des cantiques en allemand, chantés par un chœur mixte, et l’orgue apparaît dans les synagogues. Des prières sont traduites en allemand et l’on débat même sur l’abandon de l’hébreu dans la liturgie. Bientôt, à coté des Juifs orthodoxes, il y a de plus en plus de Juifs « réformés »

Les rabbins crient au blasphème. Certains Juifs vont jusqu’à se convertir.

Effectivement, l’identité juive devient séparée de la foi. Pour la première fois depuis le temps des Hébreux, on peut être Juif sans croire au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Le judaïsme ne sera plus jamais le même.

Exode et destructions

À partir de 1880 et jusqu’en 1930, 4 millions de Juifs de l’Est, écœurés de la pauvreté et de l’antisémitisme, émigrent vers les États-Unis, le Canada, l’Europe de l’Ouest et même la Palestine. Pas les Hassidim; l’immense majorité reste sur place. Pour eux, la liberté de l’Occident est plus dangereuse que l’antisémitisme. Ils restent sur place pendant la révolution bolchevique et la montée de l’antisémitisme en Allemagne.

L’Holocauste frappe de plein fouet les juifs d’Europe de l’Est, et particulièrement les Hassidim. Très concentrés dans certains quartiers, très séparés du monde qui les environne, particulièrement faciles à identifier de loin par le plus débile des Nazis, ils sont les premiers frappés. La moitié des Hassidim, des millions, meurent dans les camps d’extermination. Parmi ceux qui ont réussi à fuir juste avant l’arrivée des Nazis, les premiers Hassidim de Montréal. Ils ont fait un long détour par la Corée, la Chine et le Japon. Pendant la guerre, beaucoup de groupes hassidiques disparaissent. D’autres, autrefois puissants, deviennent minuscules.

Les Hassidim en Amérique

satmarfamilyCeux qui ont survécu à l’Holocauste rejoignent les petits groupes qui s’étaient installés à Montréal, New York ou Jérusalem. Les Hassidim se regroupent dans des quartiers spécifiques: Williamsburg, Borough Park et Crown Heights à Brooklyn, Mea Shearim à Jérusalem, Mile End, Outremont et Snowdon à Montréal, etc.

Ils sont aujourd’hui 12 000 à Montréal. Les Satmar, tout comme les Belz, les Guer et les Vishnitz, habitent Outremont et le Mile End. La synagogue derrière le YMCA de l’avenue du Parc leur appartient.  Les Breslov sont à Côte-Saint-Luc alors que les Loubavitch sont concentrés dans Snowdon.

Les 250 000 Hassidim de la planète représentent un monde à part et tiennent à le rester, fut-ce au prix de la ségrégation et du mépris. Par fidélité, ils conservent les traditions de leur pays d’origine: les habits, la manière d’être, la langue parlée (le yiddish), etc.

Chaque groupe possède ses petites particularités, que ce soit dans la façon de prier, de s’habiller, ou dans le rapport au monde extérieur. Le séparatisme vestimentaire – ils sont habillés comme au XVIIIe siècle (longs manteaux noirs, larges chapeaux etc.) – est voulu.

Un Juif expliquait : « Après tout, si on se promène habillé comme ça, il y a certaines places où on ne peut aller et des choses qu’on ne peut faire. C’est comme la ceinture de sécurité dans une auto. Ça aide à prévenir les accidents. »

Les Guerer se distinguent par leur casque de poil en hauteur contrairement à celui des Satmar par exemple, qui n’est pas plus haut qu’un gros gâteau alors que les Loubavitcher portent le borsalino (chapeau à la Al Capone), mais pas les boudins. Pour les intéressés, observez la façon dont les manteaux sont boutonnés…

Le monde moderne

Tous s’organisent pour pouvoir pratiquer leur mode de vie avec le minimum de contacts avec le monde « moderne ». Ils ont leurs synagogues, leurs écoles, leurs emplois et leurs occupations traditionnelles, par exemple comme bouchers et préparateurs d’aliments cacher, subviennent aux besoins d’autres Juifs. Les Hassidim se méfient comme la peste du monde moderne dont ils n’acceptent certains aspects que s’ils ne sont pas contradictoires avec la loi religieuse. Si tous rejettent la télévision, les Loubavitch ont des sites web impressionnants. Ces derniers sont les plus «ouverts» sur le monde moderne. Leur mission est de parcourir le vaste monde pour ramener les juifs peu religieux ou tout simplement incroyants à revenir à un judaïsme « orthodoxe ».

La prestation de Matisyahu, un rappeur hassidique, à la populaire émission de David Letterman, est disponible sur YouTube.

Original painting of the Rebbe 24x30 acrylic on canvasLe Rebbe des Loubavitch

La population juive de Montréal stagne et vieillit. La  proportion des Hassidim ne cesse d’augmenter. Ils ne s’assimilent pas; ils font beaucoup d’enfants (les familles nombreuses de 7 à 10 enfants sont la norme), car les Hassidim obéissent à l’injonction de la Bible « Croissez et multipliez ». Les Hassidim, dynamiques et jeunes, sont en train de devenir, surtout les Loubavitch, des acteurs importants du judaïsme montréalais.

Le Rebbe

Le Rebbe est généralement établi à New York ou Jérusalem. Exception digne de mention: le rebbe de la communauté Tash vit à Boisbriand au nord de Montréal. Ferenz Lowey, originaire de Tash en Hongrie, s’est installé rue Jeanne-Mance, à Montréal, après la Deuxième guerre mondiale. Il devint connu sous le nom de rebbe de Tash et, en 1962, décida de quitter Montréal pour Boisbriand. La communauté hassidique de Tash, construite en pleine campagne, comprend plus de cent familles.

(Un universitaire leur a consacré un site Web, en anglais seulement.)

Les Hassidim de Montréal ont des caractéristiques particulières. Ailleurs en Amérique du Nord, la diversité des groupes et les divergences idéologiques ont conduit à des conflits parfois violents entre Hassidim. À Montréal, les Hassidim s’entendent bien entre eux et avec les autres Juifs.

D’un côté, leur piété et leur discipline sont vues par la communauté comme le symbole de la fierté et de la tradition juive. Mais aussi comme un anachronisme. Marc-Alain Wolf l’a très bien expliqué :

«  Il m’arrive de me promener à Outremont les jours de fête juive pour profiter tranquillement et anonymement du spectacle que m’offrent les Hassidim de l’arrondissement. Je suis un spectateur complaisant et acquis à leur cause même s’ils ne me voient pas, s’ils ne me regardent pas, tout juif que je suis. Il n’est pas donné à tout le monde d’observer in vivo (pas au musée des civilisations ou dans de grands spectacles d’été en région) de très lointains aïeux vaquer à leurs occupations spirituelles. C’est, selon la belle formule biblique, le grand-père du grand-père de mon grand-père que je vois peut-être là, tout jeune garçon, rasant les murs, caressant ses « boudins », méditant passionnément le passage du Talmud qu’il vient d’étudier avec son maître. Leur temps n’est pas le nôtre. Il est celui, immuable, de la vie juive traditionnelle centrée sur l’étude et la synagogue. Plus que toute autre, les communautés hassidiques sont des rescapées de plusieurs siècles de persécution. Elles ont été décapitées par le nazisme. Leur survivance, même anachronique, n’en est que plus émouvante. »

(Marc-Alain Wolf, Le Québec sur le divan, Les éditions Voix Parallèles, Québec, Canada 2008)

Le sionisme

Au début, pratiquement tous les Hassidim y étaient hostiles. Dieu ayant détruit l’État juif de l’Antiquité pour punir les Juifs de leurs péchés, seul Dieu, par l’intermédiaire du Messie, peut le recréer. Créer un État juif sans le Messie est une révolte contre Dieu, la création d’un État israélien, selon la Bible, devant suivre, et non précéder, la venue du Messie toujours attendue.

L’hostilité viscérale des débuts ne survit que chez les Satmarer qui appellent à la destruction d’Israël. Et bien sûr les Neturei Karta (voir plus bas). Aujourd’hui, la majorité des Hassidim sont neutres mais critiques face au sionisme.


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