La réforme scolaire: né pour un petit bulletin
Contre la réforme pédagogique. Sous la direction de : Robert Comeau et Josiane Lavallée. VLB éditeur, 2008.
Ce livre n’est vraiment pas un Harlequin. Écrit par des personnes qui se débrouillent fort bien en pédagogie et qui s’adressent à un public très averti, Contre la réforme pédagogique (sous la direction de Robert Comeau et Josiane Lavallée, VLB éditeur) ne risque pas d’être un best-seller et donc d’ébranler notre imperturbable ministère de l’Éducation. Pourtant, il est crucial pour comprendre comment le Québec s’est retrouvé avec une réforme pédagogique dont personne ne voulait sauf un petit groupe d’idéologues. Les auteurs parlent de «manipulations notables». Le Kiosque a fait bouillir ce livre pendant quelques mois pour en extraire l’essentiel. Édifiant et révoltant.
«Cette réforme (…) aura indéniablement contribué à un nivèlement par le bas des exigences à l’égard des élèves.» – Robert Comeau et Josiane Lavallée
La réforme scolaire: né pour un petit bulletin
À la fin des années 80, les Québécois sont scandalisés par le taux effarant de jeunes, particulièrement les pauvres, qui ne finissent pas leur secondaire. Même le ministère de l’Éducation finit par trouver que c’est inacceptable. La population, profs en tête, exige aussi que l’école arrête de s’éparpiller un peu partout et se concentre sur les matières de base. Le Parti Québécois est entièrement d’accord; il promet de « recentrer l’école autour des matières de base, consacrer plus de temps au français, à l’histoire et aux sciences ». Il est élu en 1994.
Un petit groupe d’idéologues est inquiet de ce recentrage. Selon Éric Bédard, «on retrouve ces gens au ministère de l’Éducation dans tout le secteur du conseil pédagogique, dans les facultés de sciences de l’éducation; ce sont eux aussi qu’on nomme depuis quarante ans au Conseil supérieur de l’éducation» (CSE), un organisme puissant, payé par nos taxes et dominé par des spécialistes en théorie de l’éducation.
Tous ces idéologues, qui s’inspirent du marxisme ou du catholicisme de gauche, comme l’explique Éric Bédard (VOIR NOTE EN BAS DE PAGE 1- idéologues), jonglent depuis des années avec un but enlevant : «engager l’État dans une réforme globale de l’éducation et de ses fondements philosophiques.» Bref, «une réforme exhaustive et fondamentale» (Julien Prudhomme).
Rien de moins.
Ces idéologues sont profondément déçus de Jean Garon, le nouveau ministre de l’éducation, un pragmatique. Alors que «le Conseil voulait piloter sa propre consultation en la fondant d’emblée sur des idées comme l’approche par compétences» (Julien Prudhomme), Garon court-circuite le Conseil en annonçant que le ministère va consulter non pas les théoriciens, mais la population. Il met sur pied en 1995 une Commission des états généraux. Non seulement Garon ne veut pas consulter les théoriciens, mais il ne veut pas les voir siéger à la Commission.
«C’est à cette fin qu’il nomme, sciemment, une commission composée en majorité de non-spécialistes (étudiants, gens d’affaires, représentants du monde culturel ou coopératif.» (Julien Prudhomme)
Malheureusement, on impose à Jean Garon (les auteurs ne précisent pas comment) comme coprésident de la Commission des états généraux le président du Conseil de l’éducation, Robert Bisaillon, licencié en théologie, un ancien dirigeant de la Centrale de l’enseignement du Québec (aujourd’hui CSQ) que Gary Caldwell qualifie de “technocrate endurci”, de “ vieux renard de l’appareil” et Éric Bédard « d’apparatchik de la triade ». Robert Bisaillon y
Selon Bédard, la triade comprend le ministère, les facultés de sciences de l’éducation et le Conseil supérieur de l’éducation. |
fait siéger l’un de ses plus influents collègues, Paul Inchauspé, détenteur d’un diplôme d’études supérieures en philosophie.
La Commission entreprend une tournée de 56 jours d’audiences publiques à travers le Québec.
Succès bœuf. La population dépose plus de 2 000 mémoires. «De toutes les consultations publiques tenues au Québec depuis la guerre, c’était sûrement une des plus réussies quant à la participation.» (Gary Caldwell)
Le dérapage
C’est alors que les idéologues du Conseil supérieur de l’éducation prennent les commandes du processus.
«Devant l’ampleur de la tâche et, (…) prenant conscience des limites de leurs compétences en ce qui concernait les questions complexes qu’ils avaient à examiner, certains commissaires ont démissionné, dont la coprésidente de la commission qui devait représenter les parents. La plupart des personnes interrogées admettent, par ailleurs, ne pas avoir participé à toutes les étapes de la consultation, ni même avoir eu le temps de lire les résumés des consultations ou les documents qui leur étaient souvent remis le matin même où ils devaient être discutés. En fait, la plupart reconnaissent s’en être remis à Robert Bisaillon qui présidait la Commission.» (Régine Pierre)
Jean Garon est remplacé par Pauline Marois au début 1996.
«Bisaillon convainc celle-ci de modifier le mandat de la Commission pour en faire non la compilation prévue de consensus pratiques, mais la formulation d’une réforme exhaustive et fondamentale, comme le Conseil (CSE) l’avait toujours envisagé. Or, aux dires de plusieurs commissaires, ce virage, parce qu’il requiert expertise et réflexion préalable, donne une autorité accrue aux spécialistes que sont Bisaillon et Inchauspé, ainsi qu’au personnel de soutien de la Commission issu du CSE et chargé d’une part notable du rapport.»(Julien Prudhomme)
«C’est ce virage qui transforme les États Généraux en une caution pour la réécriture psychopédagogique des finalités de l’éducation, avec l’approche par compétences comme nouveau mot d’ordre.
(..) les voies de réforme choisies par le Ministère sur l’avis de Bisaillon et d’Inchauspé divergent de ce que préconisent les autres commissaires. C’est particulièrement le cas de l’approche par compétences.» (Julien Prudhomme)
La Commission tient une deuxième ronde de consultations sur des questions formulées d’avance et soumises à des intervenants choisis au préalable.
«Cette deuxième ronde, menée d’une main de fer par le coprésident Robert Bisaillon, (…) a donné lieu au rapport final déposé en 1996 et intitulé : Rénover notre système d’éducations: dix chantiers prioritaires.» (Gary Caldwell)
«Rarement a-t-on vu une ambition collective être détournée à ce point. Or il a suffi que la « triade » entende le mot « réforme » pour s’activer, et avec quelle efficacité ! » (Éric Bédard)
«En effet, si vous allez relire les mémoires déposés, vous ne trouverez nulle part des propositions telles que la disparition du redoublement ou l’éclipse des moyennes de groupe. Vous ne verrez nulle part des parents demander un ”apprentissage par compétences” ou l’application mur à mur de la ”pédagogie par projets”». (Éric Bédard)
«Il faut mentionner ici que la réforme pédagogique dont on parle tant aujourd’hui – remplacer les connaissances directes par une capacité d’apprendre, par des compétences dites «transversales» – ne figurait pas à l’ordre du jour des États généraux: c’était encore une question pédagogique réservée à des experts concoctant entre eux une réforme en voie d’être appliquée.» (Gary Caldwell)
« Qui est l’intellectuel derrière ça ? » (Gary Caldwell)
« Il en a été ainsi du programme de formation axé sur les compétences. Nous n’avons jamais discuté de cela. (…) l’approche par compétences, je ne sais pas d’où c’est sorti. Est-ce que c’était déjà dans l’air en 1995 ? Pour moi cela me semble une pure invention des facultés d’éducation. Dans le rapport final de la commission, moi, je n’ai pas vu le mot « compétences ». Gary Caldwell (p. 259-260)
Les deux principales réformes de l’éducation du Québec moderne : témoignages de ceux et celles qui les ont initiées. Sous la direction de Gabriel Gosselin et Claude Lessard, Pul.
Le détournement
« Ils accèdent après la consultation aux leviers de commande de la réforme. À la lumière de son enquête, Denis Royer (auteur d’une thèse de doctorat sur le sujet) soutient que la réforme réelle témoigne uniquement des ambitions du CSE : « Le contenu de la politique éducative…) ne tire pas sa source du rapport de la commission des États généraux ou d’autres documents produits par les instances que l’autorité politique a mandatées, mais plutôt de travaux que le CSE a menés depuis le milieu des années 1980. » (Julien Prudhomme)
« Une consultation détournée, une mise en œuvre des recommandations qui n’en tient guère compte, un rôle éminent pour d’omniprésents spécialistes de l’Éducation. La thèse de doctorat de Denis Royer (…) confirme en grande partie ces constatations. (Julien Prudhomme) Royer voit dans ce virage « l’aboutissement de jeux de coulisses et d’alliances entre des acteurs possédant des intérêts convergents au sein des instances politiques. »
« J’ai beau chercher, je ne peux expliquer les idées et la mise en place de la plus récente réforme scolaire que par cette hégémonie idéologique. » (Éric Bédard)
«C’est qu’au fond, la triade n’avait que faire de l’intention politique du début (le back to basics)… Ses objectifs restaient les mêmes : poursuivre la mission égalitariste de l’école, non plus en garantissant l’accès mais en promettant cette fois-ci la réussite de tous ; combattre le stigmate de l’échec en abolissant la comparaison et l’émulation, à leurs yeux synonymes de compétition néolibérale et darwinienne ; faire disparaître les dernières traces de culture humaniste en misant sur le concept de « compétence », jugé moins intimidant pour les jeunes des familles défavorisées car il permettait de transférer le savoir abstrait vers du concret et de l’utile.
Le génie de la triade a été de convaincre Pauline Marois et François Legault, les deux ministres qui mirent en place cette réforme, d’accepter toutes les critiques. La première en lui faisant croire qu’elle prenait le train du Progrès infini, que sa réforme aurait l’envergure de celle de Paul Gérin-Lajoie; le second en lui faisant miroiter une plus grande « performance » du Système, de meilleurs « résultats » au final. (Éric Bédard)
(…) cette réforme promettait des économies importantes (abolir le redoublement et faire passer tout le monde coûte en effet moins cher au contribuable) et a pu convaincre certains technocrates et ministres…» (Éric Bédard)
En 1997, Robert Bisaillon devient sous-ministre de l’éducation; sous-ministre responsable de l’application de la « réforme » et Paul Inchauspé, directeur du groupe de travail chargé de veiller à la mise en œuvre des réformes (responsable du comité sur les programmes).
La même année, la ministre de l’Éducation, madame Pauline Marois, présente un énoncé de politique éducative intitulé « L’école, tout un programme ».
– Le document propose une révision en profondeur du curriculum.
– Les programmes d’études, les parcours ou cheminements scolaires et l’organisation de l’enseignement seront revus et sérieusement modifiés.
La lutte
Il a fallu une autre étape après le rapport Inschaupé en 1997. (Réaffirmer l’école. Prendre le virage du succès)
“Une fois déterminées les matières qui seraient au programme du primaire et du secondaire, il a fallu développer un curriculum. Ce sont les fonctionnaires qui en ont été chargés dans le plus grand secret.” (Régine Pierre)
« Si la lutte contre la réforme s’est organisée lentement c’est principalement en raison de l’implantation graduelle de celle-ci, qui a fait en sorte qu’il était difficile d’en comprendre dès le départ les enjeux et les fondements. Cela a amené les syndicats d’enseignement à jouer de prudence et à réserver leur jugement. » (Pierre St-Germain)
« Nulle part dans le programme de français, il n’est fait mention d’un enseignement systématique de la langue en complément de l’apprentissage par l’observation. Nulle part on ne parle d’un enseignement correctif, de crainte sans doute, de traumatiser les enfants en remettant ainsi en cause leur langue d’enfance. » (Jean-Claude Corbeil)
« La description des connaissances prescrites matière par matière est minimaliste. Le programme de français introduit une nouvelle conception de l’enseignement de la grammaire accompagnée de la terminologie grammaticale correspondante, inconnue des parents, qui ont ainsi beaucoup de mal à aider leurs enfants dans leurs devoirs à la maison. » (Jean-Claude Corbeil)
« Toute la démarche repose sur l’idée que les enfants découvriront tout par eux-mêmes en réalisant des projets mobilisateurs, en somme sur l’idée que comme l’écrivait l’Express (l’observation de la langue vaut mieux que l’enseignement de la grammaire et de l’orthographe.) (Jean-Claude Corbeil)
Les conséquences
« Malheureusement, depuis huit ans, certains spécialistes des sciences de l’éducation, de concert avec les fonctionnaires du ministère de l’Éducation, ont préféré laisser croire aux élèves québécois que les échecs n’existaient plus, plutôt que de s’attarder sur les causes de l’échec scolaire au Québec. » (Comeau/Lavallée)
La baisse des résultats aux examens ministériels de sixième année en orthographe et en syntaxe, la performance décevante des élèves québécois aux évaluations internationales en science et en mathématique, la grogne des enseignants qui entraîna la création d’un nouveau syndicat (la FAE) n’ont pas ralenti la locomotive de la réforme. Tous ces indices n’émeuvent guère la triade qui, convaincue d’aller dans le sens de l’Histoire, préfère s’en prendre aux enseignants qui auraient peur du changement et aux parents de la « classe moyenne » (ces petits bourgeois tant détestés), qui seraient incapables de tendre la main aux élèves des milieux défavorisés. Pire : elle est également convaincue que la faillite de la réforme résulte d’un manque de moyens et de formation. (Éric Bédard P.120-121) « Les deux principales réformes de l’éducation du Québec moderne : témoignages de ceux et celles qui les ont initiées » Sous la direction de Gabriel Gosselin et Claude Lessard, Pul.
Les milieux pauvres
« On prétendait pourtant, en haut lieu, que cette grande offensive devait permettre d’éviter le décrochage scolaire en rendant l’école plus active et en aidant les élèves à apprendre de façon plus durable, par une pédagogie plus concrète. Surtout le décrochage des garçons, disait-on, et particulièrement en milieu défavorisé où l’exemple de l’effort intellectuel est souvent peu présent à la maison. Nous allions plutôt découvrir quelques années plus tard, grâce à une revue de la littérature scientifique américaine, que ces modes d’enseignement nuisent davantage aux élèves de milieux défavorisés qu’aux autres élèves dont l’appétit intellectuel est nourri dans le milieu familial. » (Nathalie Morel)
Même son de cloche de Comeau/Lavallée
«Or plusieurs études ont démontré que les enfants issus d’un milieu socio-économique pauvre réussissent mieux lorsqu’ils reçoivent un enseignement magistrat ; on sait qu’un jeune disposant de moins de ressources à la maison aura davantage besoin d’être encadré à l’école.»
Conclusion
« Au Québec, le principal problème en éducation réside dans cette emprise trop grande de la technocratie sur l’éducation. Pour moi, c’est clair. Avant, je ne comprenais pas cela. Maintenant je le comprends. » (Gary Cadwell) (p. 270, « Les deux principales réformes de l’éducation du Québec moderne : témoignages de ceux et celles qui les ont initiées ». Sous la direction de Gabriel Gosselin et Claude Lessard, Pul.)
(…) Vous ferez œuvre utile, Monsieur le ministre, si vous tentez de mettre fin à cette hégémonie idéologique qui gangrène notre système d’éducation. (Éric Bédard)
« En attendant, je cherche toujours, sans la trouver tout à fait, la réponse à une question pressante : de quel droit, par quelle légitimité, fonctionnaires et chercheurs ont-ils pu procéder à cette formidable mutation du sens de l’éducation qu’ils ont opérée ? Il me semble cependant que l’arrogance et l’ignorance qui ont présidé à l’adoption des idées que je viens de décrire ont dû jouer un rôle dans toute cette histoire. » (Normand Baillargeon)
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*1- idéologues
« Pour faire très court (…) je dirais qu’en éducation, le terrain des idées, des valeurs et des principes a été jusqu’à maintenant occupé par deux sensibilités idéologiques à la fois distinctes et semblables. Le premier courant est formé de « catholiques de gauche ». (Éric Bédard)
(…) À la manière des protestants, ils prônaient une foi « authentique », un contact plus direct avec le message chrétien, et rêvaient de faire disparaître toutes les médiations trop contraignantes entre le croyant et l’au-delà. L’Institution, en tant que principe, nuisait selon eux davantage à la foi qu’elle ne lui permettait de se développer. C’est qu’en interprétant, pour les fidèles, chaque verset du Nouveau Testament, les clercs, au lieu d’enseigner la miséricorde et l’amour du prochain, créaient une distance insupportable qui rendait les croyants passifs et obéissants. (Éric Bédard)
Cette manière de transmettre la Foi, jugeaient ces personnalistes, rendait les fidèles plus conformistes alors qu’il fallait en faire des apôtres du message chrétien qui travailleraient à l’avènement d’un monde meilleur. Quel rapport avec l’éducation, me demanderez-vous impatient… C’est qu’à bien des égards, les personnalistes ont triomphé, et l’Église catholique, comme Institution, s’est complètement effondrée durant la Révolution tranquille. Non satisfait de leur victoire, plusieurs de ces personnalistes ont poursuivi leur combat, mais sur le terrain scolaire. Lisez leurs écrits et vous verrez que leurs critiques de l’École, en tant qu’Institution, et du maître, en tant que médiateur, incarnation vivante de l’Idéal, sont les mêmes que celles adressées à l’Église et aux clercs. Méditez leurs écrits sur le « nouvel humanisme » qui, au lieu d’être centré sur l’« École » (lisez Église) devait être centré sur l’« élève » (lisez laïc). » (Éric Bédard)
L’autre sensibilité importante en éducation fut d’inspiration marxiste. Formé essentiellement de baby boomers très actifs dans le syndicalisme radical et dans les groupuscules d’extrême-gauche des années soixante-dix, ce second courant considéra longtemps l’école comme l’un des « rouages » de l’État bourgeois. Cette école bourgeoise transmettait des savoirs surannés correspondant au goût d’une petite élite qui, depuis des siècles, s’appropriait la Culture dans le but de se distinguer des masses. (…) l’instituteur de l’école bourgeoise était l’agent d’un Système fondamentalement inégalitaire, fondé sur l’exploitation du prolétariat. (…) l’école bourgeoise enseignait l’obéissance à la « classe dominante », ce qui expliquait la reproduction de ces injustices de génération en génération. Pour préparer les esprits à la Révolution, il fallait casser ce Système, adapter l’école aux réalités de la classe ouvrière, c’est-à-dire enseigner aux fils et aux filles d’ouvriers des choses utiles à leur affranchissement futur… ( )ces marxistes (…) n’eurent pas gain de cause et, durant les années 1980, plusieurs cessèrent de militer activement. Mais voilà : cette défaite cuisante, d’aucuns diraient humiliante, ne fit que renforcer leurs convictions sur l’aliénation des masses, sinon leur hostilité à la démocratie « bourgeoise ». (Éric Bédard)
C’est que, si les classes « laborieuses » (…) continuaient d’aspirer à cette école bourgeoise (…), si les parents souhaitaient toujours une transmission relativement classique de la culture, c’était précisément parce qu’ils avaient été programmés à penser ainsi. Plusieurs en vinrent à la conclusion qu’on ne pouvait compter sur cette masse de petits bourgeois en devenir pour « changer la vie » (…). Ces Révolutionnaires jugeaient futiles de soumettre leurs idées radicales à la discussion publique puisque le bon peuple, cela va s’en dire, était dans le premier cas aliéné par la société de consommation, dans le second, fermé à la « différence », à « l’altérité » des exclus. S’il fallait, malgré tout, le rééduquer, c’était évidemment pour son propre bien. (Éric Bédard)
Malgré leurs différences évidentes, ces personnalistes et ces révolutionnaristes ont de nombreux points en commun. À leurs yeux, la transmission de la culture, de la culture « seconde », qui a fait de nous des êtres civilisés, constitue une finalité élitiste qui inhibe la créativité des enfants ou aliène les filles et les fils d’ouvriers. (…) Incapables de changer la société par le haut (les ouvriers québécois n’ont jamais cru à leurs lubies de sectaires « maoïstes » !), ils veulent la changer par le bas, dès la maternelle. (Éric Bédard)
(…) Ces femmes et ces hommes ont occupé des fonctions clefs au sein de ce que j’appelle la « triade » du monde de l’éducation. On retrouve ces gens au ministère de l’éducation dans tout le secteur du conseil pédagogique (cf. « Centre d’information » du Ministère); ce sont eux aussi qu’on nomme depuis quarante ans au Conseil supérieur de l’éducation. Les professeurs des facultés de sciences de l’éducation de nos grandes universités – qui ont le monopole de la formation des maîtres depuis 1994 – communient très souvent à l’une ou à l’autre des sensibilités idéologiques décrites plus haut. (…) Ces gens se connaissent, parlent le même langage, partagent les mêmes valeurs, se nomment entre eux aux postes clefs et se commandent des études à grands frais, ce qui donne à leur sensibilité idéologique une aura d’expertise. (Éric Bédard)
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POUR EN SAVOIR PLUS
Notes au (futur) ministre de l’éducation. Par Éric Bédard.
Compte-rendu du livre de Gosselin, G. et Lessard, C. : Les deux principales réformes de l’éducation du Québec moderne : témoignages de ceux et celles qui les ont initiées. Par Stéphane Martineau, PH.D. et Jean-Paul Ndoreraho, M.A.
L’achèvement de l’étatisation de l’éducation au Québec. 1965-2005. Par Gary Caldwell
Aussi
“Des fois, il ne reste plus qu’à hurler. Encore et encore.
L’implantation de la réforme scolaire sera entièrement terminée au Québec l’an prochain. Elle repose sur les mêmes principes que des réformes similaires lancées en Suisse, en Belgique et ailleurs : les «compétences transversales», et tout le bataclan que vous connaissez déjà.
Il y a toutefois une grosse différence: dans ces pays, dès qu’on a vu que les résultats scolaires piquaient du nez, on a immédiatement stoppé les machines. Ici, on a décidé de boire le calice jusqu’à la lie.”
«Les approches par compétences influencent les programmes d’études dans bon nombre de pays occidentaux” affirmaient Robert Bisaillon (en 2000) et Philippe Jonnaert (en 2002) pour justifier d’en faire un modèle pour la réforme. L’argument ne tient plus. La Suisse et la France qui avaient adopté ce modèle l’ont abandonné en 2005 et en 2006, et je ne parle que des pays francophones.» (Régine Pierre) |
Toute la classe politique tourne cependant autour du pot pour ne pas dire ce qui crève les yeux : qu’il s’agit d’un naufrage total, dont nous allons payer le prix longtemps.
Le Parti québécois ne veut pas porter l’odieux d’admettre que c’est pendant qu’il était au pouvoir (j’y étais) que s’est enclenché ce dérapage colossal. Le Parti libéral du Québec, lui, ne veut pas se faire dire qu’il dort au gaz depuis six ans, alors que s’accumulent les preuves de cet immense gâchis.
Personne ne veut être le premier à admettre s’être trompé. Pour ne pas en payer le prix politique. Pour ne pas donner de munitions à l’autre. Alors on se renvoie la balle. Et les enfants, pendant ce temps? C’est à hurler, je vous dis.”
…
Michèle Ouimet, dans La Presse :
«C’est la première fois que je vois des enfants aussi perdus, affirme Nathalie Cloutier. Entre les élèves de cinquième secondaire qui n’ont pas connu la réforme et ceux de quatrième, c’est le jour et la nuit. Ils sont beaucoup plus faibles, c’est incroyable! Il leur manque des notions fondamentales. Quand j’ai vu ce que la réforme avait fait d’eux, j’ai eu un choc.»
«Ils ont de la difficulté à résoudre des problèmes mathématiques, dit Joe Vintantonio. Ils lisent mal et ils ne comprennent pas une question dès qu’elle a trop de mots. Et les mentalités ont changé depuis que le redoublement a été éliminé. Les élèves se disent: “Pourquoi se forcer puisque, de toute façon, on va passer.”»
Le cheminement particulier
Une invitation pour la ministre
Michèle Ouimet écrit que ces profs débordés, ces fous du cheminement particulier, doivent relever un nouveau défi depuis quelques années: la réforme.
«La pédagogie par projets, c’est beau, mais ça ne fonctionne pas avec nos élèves, explique Christine Laniesse. Ils ne sont pas assez autonomes et ils ont des trous énormes dans leur formation. Ils ne savent pas lire, écrire, raisonner. La réforme n’est pas adaptée pour eux et les examens sont trop durs.”
“Il y des débats pas mal plus urgents que celui-là à mener pour le bien de la société. Par exemple celui-ci, qui nous a occupés toute la semaine: faut-il payer les décrocheurs pour qu’ils ne décrochent pas?
Quelle grande idée! Je dirais même, quelle suite logique d’une autre grande idée: le renouveau pédagogique.
Reprenons au début. Pour accommoder les futurs décrocheurs, on a changé, il y a une dizaine d’années, la mission première de l’école ; il ne s’agissait plus d’instruire les élèves mais de les former; il ne s’agissait plus de leur transmettre des savoirs, mais de les «transversaliser». En clair: tu ne veux pas étudier, mon petit bonhomme? Ben c’est pas grave; ferme ton livre, on va faire un projet.
Ça n’a pas suffi. Ils ont continué de décrocher.
Alors on a considérablement baissé les exigences sur les matières indispensables, parce qu’il fallait bien quand même apprendre à lire et à écrire. Ils méritaient 0? On leur mettait 6 sur 10, la note de passage. Et pour leur éviter l’horreur de l’échec, on ne les a plus fait redoubler.
Ça n’a pas suffi non plus.
Plus de 10 ans après la mise en place de la réforme, ils continuent de s’ennuyer à l’école, à trouver les profs plates, à trouver que tout cela est du temps perdu. Bref, à décrocher plus que jamais.
D’où cette formidable idée de les payer pour qu’ils restent à l’école.
Mais si ça ne marche pas non plus? Que vont-ils bien pouvoir faire de plus?
J’ai entendu dire qu’ils allaient les emmener aux putes.”
Et la cerise sur le flop : Promus à l’école secondaire malgré de graves lacunes
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