George Orwell, Dans la dèche à Paris et à Londres, 1933 (Bibliothèque de Ville Mont-Royal et BAnQ)

Extraits:

«Pour les braves gens, dirait-on, il y a une différence essentielle entre les mendiants et les «travailleurs »  normaux. Ils forment une race à part, une classe de parias, comme les malfaiteurs et les prostituées. Les travailleurs «travaillent », les mendiants ne «travaillent »  pas. Ce sont des parasites, des inutiles. On tient pour acquis qu’un mendiant ne «gagne »  pas sa vie au sens où un maçon ou un critique littéraire «gagnent »  la leur. (….)

Pourtant, à y regarder de plus près, on s’aperçoit qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre les moyens d’existence d’un mendiant et ceux de bon nombre de personnes respectables. Les mendiants ne travaillent pas, dit-on. Mais alors, qu’est-ce que le travail? Un terrassier travaille en maniant un pic. Un comptable travaille en additionnant des chiffres. Un mendiant travaille en restant dehors, qu’il pleuve ou qu’il vente, et en attrapant des varices, des bronchites, etc. C’est un métier comme un autre. Parfaitement inutile, bien sûr – mais alors bien des activités enveloppées d’un aura de bon ton sont elles aussi inutiles. En tant que type social, un mendiant soutient avantageusement la comparaison avec quantité d’autres. (….) bref c’est un parasite, mais un parasite somme toute inoffensif. Il prend à la communauté rarement plus que ce qu’il lui faut pour subsister et – chose qui devrait le justifier à nos yeux si l’on s’en tient aux valeurs morales en cours- il paie cela par d’innombrables souffrances. (….)

Pourquoi méprise-t-on les mendiants? (…) Je crois quant à moi que c’est tout simplement parce qu’ils ne gagnent pas convenablement leur vie. (…) L’argent est devenu la pierre de touche de la vertu. Affrontés à ce critère, les mendiants ne font pas le poids et son par conséquent méprisés. Si l’on pouvait gagner ne serait-ce que dix livres (sterling) par semaine en mendiant, la mendicité deviendrait tout d’un coup une activité «convenable ». (…) il ( le mendiant)  simplement commis l’erreur de choisir une profession dans laquelle il est impossible de faire fortune.»

P.225-226