de Ioan Grillo, Bloomsbury Press, 2011

Résumé et explications de Julie Turgeon


Narco-message: 9 cadavres suspendus
à un pont dans le Nord du Mexique

Le journaliste britannique Ioan Grillo a passé dix ans sur la ligne de front à couvrir la guerre de la drogue au Mexique, récoltant des témoignages d’ex narcos. Vous en serez estomaqués.

Plus de 50 000 Mexicains assassinés en cinq ans; le pays se vide de son sang. C’est le bilan de la lutte contre les cartels de la drogue menée par le président mexicain Felipe Calderón depuis 2006. L’escalade de violence est spectaculaire et est diffusée sur la quasi-totalité du territoire. Les narcotrafiquants se sont multipliés. Le trafic de marihuana, de cocaïne, de crystal meth et d’héroïne vers les États-Unis, rapporte autant que la vente de pétrole de PEMEX ou Petróleos Mexicanos, sur le marché américain.

Gonzalo est un ex narco finissant ses jours dans une prison à Ciudad Juárez. Il raconte à Ioan Grillo ses 17 ans de travail comme soldat, ravisseur et meurtrier. Sa voix est forte et nasale; la police lui a cassé les dents jusqu’à ce qu’il se confesse. Il a kidnappé des hommes devant leurs épouses en larmes, a tué un nombre incalculable de victimes, parfois en leur tranchant le crâne lorsqu’elles étaient encore en vie. Cette expertise d’enlèvement et de torture, c’est dans la police que Gonzalo l’a apprise. Le passage de policier à gangster est alarmant au Mexique. Et celui de militaire l’est fort probablement aussi.

Selon la Sedena, le Secrétaire de défense national mexicain, plus de 100 000 militaires auraient déserté l’armée mexicaine depuis dix ans. Les Zetas, l’un des plus redoutables cartels de la drogue au Mexique, est composé d’anciens commandos de l’armée mexicaine et guatémaltèque. Il possède aussi des camps d’entraînement un peu partout au pays, la plupart construits sur des ranchs et équipés de stands de tir, de lance-grenades et de mitrailleuses de calibre 50. Ses activités sont diversifiées. En plus des enlèvements contre rançons, les Zetas dominant l’est du Mexique, taxe et extorque l’industrie pétrolière, concentrée dans cette région.

Les narcos marquent leur terrain

Depuis l’offensive du président Calderón en 2006, les narcos montrent qu’ils n’ont pas peur des forces de l’ordre, qu’ils ne reculeront devant rien pour marquer leur territoire. Un visage d’une victime a été cousu sur un ballon de football. Des fusillades en plein jour ont eu lieu dans des stations de police. Puis le 15 juillet 2010 à Ciudad Juarez, des gangsters ont kidnappé un homme, lui ont enfilé un uniforme de police et l’ont laissé ensanglanté dans la rue. Comme des secours et des policiers lui venaient en aide, 22 livres d’explosifs déclenchées à distance par un portable a fait sauter une voiture près des autorités.

Or, les narcos se déchaînent sur pas mal tout le monde. Une grenade a été lancée sur une chaîne télévisée. Près de 80 journalistes ont été assassinés en dix ans selon Reporters sans frontières. Et dans l’État de Tamaulipas, le politicien Rodolfo Torre et d’autres membres de son parti, sur le point de gagner la course, ont été fusillés il y a quelques années.

«Que voulez-vous de nous?» titrait le journal El Diario de Juárez en 2010. «Vous êtes de facto les autorités dans cette ville parce que les autorités judiciaires n’ont pas été en mesure d’arrêter nos collègues de mourir (…)». D’où le fait que certains chefs d’entreprises ne voient pas pourquoi ils devraient cracher des impôts au gouvernement fédéral lorsqu’ils paient déjà de l’argent à la mafia.

Narco-messages

Pour tenter de convaincre l’opinion publique que leurs actes sont justifiables ou encore, pour envoyer des menaces à leurs rivaux (police, politiciens, hommes d’affaires…), les criminels utilisent des narcomantas. Ces narco-messages sont écrits sur de grandes banderoles blanches souvent fixées à des ponts, telles des affiches publicitaires. Mais les journaux font aussi le travail. En novembre 2006, la Familia, la bande criminelle située au centre-ouest du Mexique dans l’État de Michoacán, avait payé deux journaux pour diffuser cette annonce: «La Famille ne tue pas pour un salaire, ne tue pas les femmes, ne tue pas des innocents; seul mourront ceux qui doivent mourir. Sachez le tout le monde. C’est la justice divine».

Narcocorridos

Une autre manière de se faire entendre, d’apporter des nouvelles à la rue et même de recruter, c’est le narcocorridos. Ces ballades cartonnent! Des milliers de clics sur Youtube. Dans les vidéos, des filles explosives, des camions de l’année, et sous un air de polka, des chansons racontant les nouvelles alliances des narcos, les pactes rompus, les échappés de prison. Mais ce qui démarquent le narcorridos, ce sont leurs hommages aux kalashnikovs et aux barons de la drogue- des richissimes, ayant plusieurs femmes, des armes en or et payant cash leurs somptueux domaines.

Narco-argent pour narco-films

Soulignons aussi les narco-films, style série B, où les protagonistes sont parfois de vrais acteurs. Coca Inc., The Black Hummer, et Me Chingaron los Gringos (les Gringos fucked me) racontent des histoires de narcos, de deals de drogue. Le narcotrafiquant Edgar Valdez, alias la Barbie, aurait payé 200 000$ à un producteur, et prêté un Hummer, des armes en or et des diamants pour le tournage d’un film sur sa vie, Crónicas de un narco.

Le crime organisé est devenu pour plusieurs une option, dans un pays où la moitié de la population vit sous le seuil de la pauvreté.  Un demi-million de Mexicains participeraient directement au trafic de la drogue. Pour cent dollars, le prix d’une vie à Ciudad Juárez, des jeunes ramènent du pain sur la table. Et puisque les narcos, c’est une industrie qui cultive, manufacture, commercialise, etc., dans le livre de paie des narcos, se trouvent aussi paysans, chimistes, passeurs, vendeurs.

Bref,  les narcos, c’est le gorille de huit cent livres dans la salle. Mais personne n’arrive vraiment à mettre une face sur la bête. Et ces gangsters sont aujourd’hui, comme l’écrit l’auteur de El Narco, Ioan Grillo, une insurrection criminelle présentant la plus grande menace armée au Mexique depuis la révolution.

Le narcotrafic se joue principalement sur les quelque 3200 kilomètres de frontière entre le Mexique et les États-Unis. Mais le problème ne s’arrête pas là. Il se trouve aussi ailleurs, comme en Amérique centrale, où des gangs latinos, et fils de communistes guérilleros, se moquent pas mal de Che Guevara et du socialisme.