Enseignement de l’histoire: où est le problème? Entrevue avec Éric Bédard
Blogue de Mathieu Bock-Côté
Éric Bédars
De l’avis même de ceux qui avaient inspiré ce programme – je pense notamment au didacticien Jean-François Cardin ou à l’historien Jocelyn Létourneau – celui-ci se voulait plus « rassembleur », moins « misérabiliste ». L’angle privilégié fut de faire l’histoire des grands processus de la modernité au Québec : le développement des libertés et de la démocratie, l’avènement de l’État-providence, la lutte des ouvriers, des femmes et des minorités ethniques, etc. Dans ce nouveau programme, la Conquête était assimilée à un changement de régime qui annonçait les bienfaisantes libertés britanniques ; la Révolution industrielle passait sous silence l’infériorité économique des Canadiens français ; la Révolution tranquille était surtout présentée comme l’avènement l’État-providence, non comme le moment clef d’une reconquête économique et politique par la majorité francophone. Quant à des événements aussi anodins que l’Acte de Québec, la Confédération, les conscriptions, le rapatriement de 1982, ils étaient à peine évoqué ou carrément absents. Le sujet de cette histoire était la Modernité, non le Québec. Une Modernité défendue par de valeureux combattants, freinée par de dangereux réactionnaires…
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À l’université, les choses sont plus difficiles mais il y a beaucoup à faire aussi. D’une part, revoir la formation des maîtres en histoire. Les étudiants en sciences de l’éducation qui comptent enseigner l’histoire se plaignent souvent de leur formation rachitique dans cette discipline. En effet, depuis la réforme Chagnon de 1994, les futurs enseignants doivent faire un bacc. de 4 ans en sciences de l’éducation. Or cette formation accorde trop peu de place à la discipline qui sera enseignée. En effet, après avoir vérifié les programmes de ces facultés, j’ai pu constater qu’en moyenne, un futur diplômé en sciences de l’éducation, option « univers social », n’aura suivi que 3 à 4 cours en histoire du Québec/Canada durant ses 4 ans de formation et de stages. Pour une personne qui enseignera l’histoire du Québec/Canada toute sa vie, cela nous semble nettement insuffisant ! À notre avis, le futur enseignant devrait avoir suivi au moins 10 cours en histoire du Québec/Canada, et là-dessus, au moins un ou deux cours sur la question nationale/constitutionnelle.
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par Sophie Doucet, L’actualité
2 Août 2007
La réforme de l’enseignement de l’histoire pourrait marquer la fin d’une certaine idée du « nous » québécois. Doit-on s’en inquiéter ?
Le prof s’avance et écrit quelques mots au tableau : nazis, camps de concentration, crise économique, Deuxième Guerre mondiale. En équipes, les adolescents doivent lier ces réalités entre elles au moyen d’une question. Je ne sais pas si leurs violons sont mal accordés, mais leurs questions n’ont ni queue ni tête ! Elles tordent l’histoire en tous sens. Par exemple : « Est-ce que le nazisme est une conséquence de la Deuxième Guerre mondiale ? » Le prof soupire. « Dans mon autre groupe, ça s’est mieux passé », dit Michel Lamarche. Ses élèves ont eu une brève leçon sur la guerre, mais ceux qui n’ont pas révisé la matière dans le manuel ont été complètement largués.
Pour André Champagne, professeur au collège Jean-de-Brébeuf et chroniqueur à la radio de Radio-Canada, l’abandon de l’enseignement magistral n’est rien de moins qu’une catastrophe. L’homme est vêtu de noir de la tête aux pieds, ce qui s’harmonise bien avec son humeur. Il me reçoit dans son petit bureau rempli de livres, au troisième étage du vénérable établissement du chemin de la Côte-Sainte-Catherine, à Montréal. « Brébeuf », c’est l’alma mater des anciens premiers ministres Pierre Elliott Trudeau et Robert Bourassa, de l’écrivain et homme politique Pierre Bourgault et de nombreuses autres personnes ayant une place dans les livres d’histoire. « Moi, madame, j’enseigne comme on enseignait au 16e siècle : je me plante devant la classe et je parle, dit André Champagne. Et vous savez quoi ? Les élèves a-do-rent ça ! » Ses protégés, jure-t-il, n’ont jamais échoué à l’examen officiel.
Quand on lui parle de compétences, André Champagne lève les bras au ciel. « Comment voulez-vous qu’ils s’interrogent sur une matière qu’ils ne connaissent pas ! À cet âge-là, ils ne savent rien, madame. La réforme essaie de leur faire faire des relations de cause à effet alors qu’ils ne connaissent pas la base, les faits. C’est comme demander à un médecin d’établir un diagnostic sans connaître l’anatomie ! » André Champagne s’emporte : « Enseigner, c’est transmettre des connaissances. Platon, Érasme, Voltaire savaient ça ! Et tout d’un coup, des pédagogues patentés du ministère de l’Éducation en décident autrement ? » Il baisse les bras de découragement.