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Caroline Montpetit, Le Devoir

Ils sont morts par milliers, souvent à des kilomètres et des kilomètres de chez eux. Et il était fréquent que leurs parents ne soient ni avisés de leur mort ni même mis au courant de l’endroit où ils étaient enterrés.

C’est ce qu’a trouvé l’archéologue Alex Maass, dans le cadre d’une recherche sur les enfants morts dans les pensionnats indiens à travers le Canada commandée par la Commission de vérité et réconciliation, qui tient des audiences publiques et un événement national cette semaine à Montréal.

(…) Selon la chercheuse, au cours des premières années des pensionnats indiens, soit de 1880 à 1920, de 25 % à 30 % des pensionnaires mouraient au cours de leur séjour. « C’est beaucoup plus que le taux de mortalité de l’ensemble de la population. Et cela, le gouvernement fédéral le savait, parce qu’il avait les mêmes registres que nous », dit-elle.

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Le Kiosque a publié: Le Printemps indien

(..) Par ailleurs, il faut aussi se demander comment assimiler efficacement ces Dénés, ces Cris, ces Innus, qui vivent toujours en nomades de chasse et de pêche dans la forêt boréale ; ils représentent tout de même la moitié de la population indienne du Canada. D’Ottawa, encore une fois, jaillit la lumière: si les Indiens n’entrent pas volontiers dans le monde civilisé, c’est parce qu’ils ont peur. Les Indiens du nord sont encore moins prêts que les autres à affronter un milieu qui ne leur semble pas accueillant. Il faut donc les préparer et, pour ce faire, fixer une fois pour toutes ces populations dans des réserves. Durant les années cinquante, on déporte les derniers nomades dans ce qui représente pour eux des camps de réfugiés. (….)

Au Canada, l’école devient simplement obligatoire pour tous les jeunes Indiens, y compris ceux du Nord, quitte à ce que les Indiens modifient en conséquence l’organisation de leur vie. On désigne même un « agent de surveillance», à qui le ministère confère le pouvoir de mettre en détention un enfant qu’il a des « motifs raison nables de croire absent de l’école», en employant autant de force que l’exigent les circonstances (Loi des Indiens du Canada, art. 119, alinéa 6).

Il n’est évidemment plus question pour les parents d’amener leurs enfants avec eux dans les bois pendant l’année scolaire, comme ils en avaient l’habitude, et de leur raconter les légendes et l’histoire de leur peuple et les liens de parenté qu’ils ont tous avec la terre. Maintenant, ils hésitent à partir seuls. Certains décident de rester, tournent en rond sur la réserve, sans emploi, mais ainsi ils voient leurs enfants. D’autres partent, pour des périodes de plus en plus courtes. L’organisation de la chasse est perturbée, car, tout autant que la trappe, elle nécessite une étroite collaboration entre l’homme et la femme. Le premier rapporte la peau, mais ce sont les femmes qui nettoient, tannent, tendent les peaux, etc. D’autres groupes s’organisent pour la chasse, et, pendant que les aînés et les tout petits enfants s’enfoncent dans les bois, de plus en plus de femmes, mères d’enfants d’âge scolaire, restent seules sur la réserve, souffrant de cet isolement. C’est un dur coup porté à l’organisation sociale et familiale des Indiens du Nord. (…)

Quant aux enfants qui demeurent trop loin des écoles blanches, on leur impose un des régimes les plus anti- pédagogiques qui soient: les pensionnats indiens. On en crée un à Sept-Îles en 1952, un autre à Amos, et d’autres un peu partout au Canada. (….)

Loin de sa famille pendant de longs mois chaque année, l’enfant oublie comment chasser, pêcher ou trapper, art qu’il ne peut apprendre que pendant sa « visite » d’été. Les enfants étant de plus en plus coupés de leurs familles, les liens familiaux se relâchent. On peut lire dans le plus pur style « Indians Affairs» de ces années, le commentaire suivant publié dans L’indien entre deux mondes: « De même un bon nombre de parents attachent plus d’importance à ce qu’on apprend au foyer qu’à ce qui s’enseigne à l’école. Il leur déplaît qu’à leur retour, les enfants ne se conduisent parfois plus comme des Indiens, qu’ils ne connaissent rien des occupations traditionnelles de la chasse et de la pêche, qu’ils méprisent la mentalité de leurs aînés et la culture indienne. » (Publication du ministère des Affaires indiennes.)

À la fin des années 1950, à l’exception du petit groupe innu de Saint-Augustin, loin sur la Basse Côte- Nord, il n’y a plus d’Indiens nomades. Les grandes déportations sont terminées, tous vivent principalement dans les réserves. Les parents reconnaissent de moins en moins leurs enfants scolarisés et plus du tout leurs territoires de chasse, où ils rencontrent des géologues et des ingénieurs forestiers presque aussi souvent que des orignaux. Les Indiens sont sans travail sur la réserve, leurs traditions s’effilochent, mais ils refusent de perdre le peu qui leur reste pour émigrer vers la ville.