79ACAE6BD652AED4B703C5E7A543Le journaliste québécois Jean-Benoît Nadeau, maintenant à Paris, nous explique les dernières élections en France. (MSN )

Les mœurs politiques françaises m’ont toujours paru bizarres. Les dernières élections municipales, du 23 et 30 mars, n’ont rien enlevé à cet état d’ébahissement perplexe qui m’envahit à chaque élection.

Je ne pense pas qu’il y ait un peuple qui aime plus voter que les Français : les présidentielles, les législatives, les européennes, les régionales, les départementales (aussi appelées « cantonales »), les municipales. Et dans tous les cas, sauf les européennes, ils vont se déplacer deux fois pour voter sur deux tours!

Donc, six élections, 11 votes. Qui dit mieux?

(….)

Cloche-Merle

Les statistiques nationales que je viens de vous donner sont en fait une fiction, car il n’y a pas une élection municipale, mais 37 000. (Les Français ont plus de communes que tous les pays voisins réunis et en proportion de la population presque quatre fois plus qu’au Québec.)

La première grande bizarrerie du système français est sa schizophrénie : comme la République se veut « une », ses politiciens nationaux s’efforcent de récupérer chaque scrutin local. Les partis ont tous une succursale locale. C’est comme si le PQ ou les Libéraux avaient décidé qu’il faisait élire leurs maires. Je ne suis pas certain que les Québécois les laisseraient faire.

Mais en France, ça passe d’autant mieux que les 577 députés et les 348 sénateurs cumulent deux sinon trois fonctions électives. La classe politique s’est même réservé quelques votes pour elle seule : le maire est élu par les conseillers municipaux, lesquels élisent aussi les conseillers communautaires des « communautés de communes ». Quant aux sénateurs, ils sont élus par l’ensemble de la classe politique et personne d’autre.

Par une espèce d’alchimie, les grands partis et la presse décortiquent « le message » des élections municipales, qui est en fait 37 000 messages.

Alors qu’on sait que deux Anglais qui se rencontrent dans la rue font la queue, deux Français qui se rencontrent vont se rentrer dedans. Alors bien malin qui peut comprendre 37 000 messages livrés par 66 millions de Français – dont 40 % n’ont pas voté pour faire passer un « message ».

(…)

Les deux tours

Autre puits sans fond d’émerveillement : les deux tours. Il ne s’agit pas ici du titre d’un roman de Tolkien : c’est le résumé du système de votation aux municipales, et quatre des six autres paliers électoraux. Si une majorité ne se dégage pas au premier tour, les Français votent une seconde fois la semaine suivante. Le second tour des municipales concernait ici 6000 des 37 000 municipalités.

Les Français, qui étoufferaient dans un système bipartite, se sont donc donné un système conçu sur mesure pour leur permettre de s’exprimer une nuée de « messages ». Dans mon arrondissement, il y avait la Liste Union de gauche, la Liste Union de droite, la Liste Diverses droites, la Liste Europe-Écologie-Les Verts, la Liste Parti de Gauche et la Liste Front National, pour ne citer que les six qui ont recueilli plus de 3 % du vote.

Entre le premier et le second tour, les politiciens passent la semaine à marchander pour se bricoler de nouvelles listes fusionnées avec leurs opposants d’hier devenus leurs alliés.