Huffington Post Québec

Gilles Laporte

Historien et président du Mouvement national des Québécoises et Québécois

Aussi mal préparés et aussi peu outillés en connaissances sur l’histoire du Canada, ces jeunes professeurs sont dès lors particulièrement inquiets, incapables d’aller plus loin face à des élèves curieux que ce que propose leur manuel de classe. Selon Éric Bédard, «le maître qui se retrouve en classe devant ses élèves avec pour seul bagage ses quelques cours universitaires sur le passé québécois est donc condamné à suivre l’un des manuels approuvés par le ministère, rédigés le plus souvent par l’un des didacticiens spécialistes en pédagogie qui lui aura enseigné à l’université.»

Comment une telle situation a-t-elle pu s’instaurer? Jusqu’en 1994, nous avons pourtant bénéficié de la formule idéale: un baccalauréat de trois ans dans une discipline, soit littérature, géographie ou histoire, où le jeune s’initiait à fond aux connaissances et aux méthodes d’un champ disciplinaire, suivi, s’il choisit de devenir enseignant, d’une année de pédagogie, assortie de deux stages, menant seuls à l’agrégation pour pouvoir enseigner. Ce système avait en outre l’avantage de susciter de véritables vocations pour la carrière d’enseignant. À l’heure actuelle, nul salut hors du fameux programme de quatre ans. Si bien que l’étudiant doit choisir dès l’âge de 18 ans, avant même d’avoir obtenu son diplôme d’études collégiales, s’il s’engage résolument dans la filière menant à l’enseignement au secondaire.

La situation aberrante où nous nous trouvons découle d’une guerre de pouvoirs bureaucratiques remportée à l’époque par les facultés de sciences de l’éducation. Ces facultés universitaires ont alors pris le contrôle de la formation des maîtres pour toutes les disciplines. Des départements comme ceux de géographie, littérature, mathématiques ou histoire se sont ainsi vus relégués au rang de dispensateurs de cours de service, soumis aux commandes dictées par les facultés d’éducation. La part du lion des cours est donc attribuée à des cours de didactique inutiles ou redondants, où des didacticiens, qui n’ont la plupart jamais eux-mêmes enseigné au niveau secondaire, ont tout le loisir, durant deux ans, de distiller leurs doctrines psychopops et montrer «comment enseigner» à de futurs enseignants qui ne connaissent pas leur matière.

Redisons-le. Un tel problème n’a rien à voir avec le nationalisme ou même avec le contenu des cours en soi. Il concerne une conception de la formation des maitres complètement aberrante qui produit bien des enseignants «polyvalents», adaptés aux contraintes de gestion des écoles, mais nullement formés pour approfondir leur matière en compagnie des élèves et ainsi susciter leur curiosité. Ces enseignants bien intentionnés se retrouvent donc impuissants et inféodés au contenu de leur manuel et, bien sûr, au programme Histoire et éducation à la citoyenneté