Les grandes réformes sont à proscrire, conclut le Conseil supérieur

image

Lisa-Marie Gervais 

Le Devoir

Québec nage en plein brouillard sur ce qui s’enseigne dans les écoles, a constaté le Conseil supérieur de l’Éducation dans son rapport publié mardi.

(..)

« Il a une idée, mais est-elle complète ? Je n’en sais rien », a déclaré en entrevue au Devoir le président du CSE, Claude Lessard.« On n’a pas les moyens de le savoir. » Le rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2012-2014, qui s’est intéressé à la réforme sans toutefois en faire le bilan, est sans équivoque. « Le Conseil demeure étonné de constater combien peu de données existent sur ce qui est réellement enseigné dans les classes du Québec. » (….)

Certes, la réforme, son contenu et la manière dont elle a été implantée auront été décriés, et avec raison, admet le Conseil. « Sur le plan de l’élaboration, il y a probablement eu des ratés ou des maladresses qui nous ont coûté cher », dit Claude Lessard. Il aurait fallu plus de transparence et de consultation avec le milieu, un peu comme le précédent gouvernement l’a fait avec la révision du cours d’histoire.

Le Kiosque a publié

La réforme scolaire: né pour un petit bulletin

«Il faut mentionner ici que la réforme pédagogique dont on parle tant aujourd’hui – remplacer les connaissances directes par une capacité d’apprendre, par des compétences dites «transversales» – ne figurait pas à l’ordre du jour des États généraux: c’était encore une question pédagogique réservée à des experts concoctant entre eux une réforme en voie d’être appliquée.» (Gary Caldwell)

« Qui est l’intellectuel derrière ça ? » (Gary Caldwell)

« Il en a été ainsi du programme de formation axé sur les compétences. Nous n’avons jamais discuté de cela. (…) l’approche par compétences, je ne sais pas d’où c’est sorti. Est-ce que c’était déjà dans l’air en 1995 ? Pour moi cela me semble une pure invention des facultés d’éducation. Dans le rapport final de la commission, moi, je n’ai pas vu le mot « compétences ». Gary Caldwell (p. 259-260)

(….)

«C’est qu’au fond, la triade n’avait que faire de l’intention politique du début (le back to basics)… Ses objectifs restaient les mêmes : poursuivre la mission égalitariste de l’école, non plus en garantissant l’accès mais en promettant cette fois-ci la réussite de tous ; combattre le stigmate de l’échec en abolissant la comparaison et l’émulation, à leurs yeux synonymes de compétition néolibérale et darwinienne ; faire disparaître les dernières traces de culture humaniste en misant sur le concept de « compétence », jugé moins intimidant pour les jeunes des familles défavorisées car il permettait de transférer le savoir abstrait vers du concret et de l’utile.

Le génie de la triade a été de convaincre Pauline Marois et François Legault, les deux ministres qui mirent en place cette réforme, d’accepter toutes les critiques. La première en lui faisant croire qu’elle prenait le train du Progrès infini, que sa réforme aurait l’envergure de celle de Paul Gérin-Lajoie; le second en lui faisant miroiter une plus grande « performance » du Système, de meilleurs « résultats » au final. (Éric Bédard)

(…) cette réforme promettait des économies importantes (abolir le redoublement et faire passer tout le monde coûte en effet moins cher au contribuable) et a pu convaincre certains technocrates et ministres…» (Éric Bédard)

(….)

C’est que, si les classes « laborieuses » (…)  continuaient d’aspirer à cette école bourgeoise (…), si les parents souhaitaient toujours une transmission relativement classique de la  culture, c’était précisément parce qu’ils avaient été programmés à penser ainsi. Plusieurs en vinrent à la conclusion qu’on ne pouvait compter sur cette masse de petits bourgeois en devenir pour « changer la vie » (…). Ces Révolutionnaires jugeaient futiles de soumettre leurs idées radicales à la discussion publique puisque le bon peuple, cela va s’en dire, était dans le premier cas aliéné par la société de consommation, dans le second, fermé à la « différence », à « l’altérité » des exclus. S’il fallait, malgré tout, le rééduquer, c’était évidemment pour son propre bien. (Éric Bédard)

Malgré leurs différences évidentes, ces personnalistes et ces révolutionnaristes ont de nombreux points en commun. À leurs yeux, la transmission de la culture, de la culture « seconde », qui a fait de nous des êtres civilisés, constitue une finalité élitiste qui inhibe la créativité des enfants ou aliène les filles et les fils d’ouvriers. (…) Incapables de changer la société par le haut (les ouvriers québécois n’ont jamais cru à leurs lubies de sectaires « maoïstes » !), ils veulent la changer par le bas, dès la maternelle. (Éric Bédard)

(…) Ces femmes et ces hommes ont occupé des fonctions clefs au sein de ce que j’appelle la « triade » du monde de l’éducation. On retrouve ces gens au ministère de l’éducation dans tout le secteur du conseil pédagogique (cf. « Centre d’information » du Ministère); ce sont eux aussi qu’on nomme depuis quarante ans au Conseil supérieur de l’éducation. Les professeurs des facultés de sciences de l’éducation de nos grandes universités – qui ont le monopole de la formation des maîtres depuis 1994 – communient très souvent à l’une ou à l’autre des sensibilités idéologiques décrites plus haut. (…) Ces gens se connaissent, parlent le même langage, partagent les mêmes valeurs, se nomment entre eux aux postes clefs et se commandent des études à grands frais, ce qui donne à leur sensibilité idéologique une aura d’expertise. (Éric Bédard)