imageJean-Philippe Warren
Boréal
Montréal, 2015, 536 pages

Le Devoir

Extrait

En 1895, dans le Paris républicain, lors d’un banquet, Honoré Beaugrand, ex-maire de Montréal et directeur d’un grand quotidien de cette ville, La Patrie, célèbre la France, mère patrie des Canadiens français. L’ambassadeur de Grande-Bretagne lui demande en souriant ce qu’il fait de l’Angleterre. Beaugrand lui répond : « C’est ma belle-mère. » Les conservateurs montréalais n’avaient pas tort de qualifier sa pensée libérale de « sans-culottisme avancé ».

Dans sa biographie d’Honoré Beaugrand (1848-1906), la première digne de ce nom, le sociologue Jean-Philippe Warren, spécialiste chevronné de l’histoire intellectuelle du Québec, insiste, à juste titre, sur le libéralisme radical et le républicanisme de cet admirateur de Papineau. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, Beaugrand appartient à un Parti libéral le plus souvent dans l’opposition et très revendicateur.

Depuis l’échec des patriotes de 1837-1838, les conservateurs règnent sans partage. De 1867 à 1897, ils détiennent le pouvoir à Québec, sauf durant deux gouvernements libéraux, celui de Joly de Lotbinière (1878-1879) et celui d’Honoré Mercier (1887-1891). À Ottawa, de 1867 à 1896, les vrais libéraux ne gouvernent qu’entre 1873 et 1878. Sous l’Union des Canadas, de 1840 à 1867, les conservateurs avaient donné le ton en s’alliant avec des réformistes si modérés qu’ils leur ressemblaient.

Une ère de domesticité 

La situation politique révolte Beaugrand. Le journaliste a la conviction que « les libéraux sont les descendants des patriotes de 1837 ». Il est fier de se réclamer de cet héritage et dénonce ceux qui, comme Étienne Parent, Wolfred Nelson et George-Étienne Cartier, ont trahi, selon lui, la cause progressiste pour devenir conservateurs. Il soutient que « la morgue » de Cartier, chef des transfuges, « et le servilisme de toute sa clique » annonçaient « une ère de prostitution nationale et de domesticité générale ».

(….)

Avec beaucoup de pertinence, Warren estime que Beaugrand, au soir de sa vie,« était sans doute consterné de voir » que, pour la nouvelle génération, le patriotisme canadien-français s’associait au catholicisme. Comble de l’ironie, le principal responsable de ce changement, fait au nom d’un libéralisme christianisé, n’était nul autre qu’Henri Bourassa, petit-fils du libre penseur Papineau qui avait inspiré toute l’action du bourlingueur issu de Lanoraie.

Question à Jean-Philippe Warren, biographe de Beaugrand 

En quoi la vie d’Honoré Beaugrand peut-elle aider à mieux comprendre le Québec d’aujourd’hui ?

Beaugrand nous donne la mesure d’un Québec qui refuse de se renier lui-même. Fils d’un patriote de 1837, admirateur impénitent de Papineau, il voulait délivrer ses contemporains de leur soumission morale et politique. Peu ému par l’admiration des uns ou l’hostilité des autres, il traça un chemin où l’espoir, toujours, triomphait sur la peur. La fortune le récompensa pour son intégrité : il dirigea un journal qui le fit riche à millions et lui permit d’occuper le siège de maire de Montréal.