artoff90LE CASSE DU SIÈCLE (THE BIG SHORT)

de Michael Lewis. Sonatine Editions, 326 p.,

(Bibliothèque de Ville Mont-Royal)

Critique de Clément Lacombe, Le Monde

Dans The Big Short, énorme succès aux Etats-Unis et titré Le Casse du siècle dans sa traduction française, le journaliste américain Michael Lewis, lui-même ancien trader, raconte comment un tout petit groupe d’investisseurs a anticipé bien avant tout le monde l’explosion de la bulle immobilière. Et a tiré profit cet cet aveuglement généralisé pour faire fortune.

Presque des personnages de roman, à mille lieues des hommes traditionnellement en cour à Wall Street : un ex-interne en neurologie, borgne et obsessionnel, qui a monté son propre hedge fund sans aucune formation financière ; un trader de la Deutsche Bank incontrôlable et traversant les Etats-Unis avec sa méthode “”shorter” les tranches les plus risquées des obligations subprimes” ; trois jeunes installés dans un garage californien pour lancer leur “hedge fund d’amateurs” avec seulement 110 000 dollars…

En ce début d’année 2005, deux conversations convainquent définitivement Steve Eisman, obscur gestionnaire américain de hedge fund (fonds spéculatif), de l’implosion imminente du système financier.

D’abord quand sa femme de ménage sud-américaine lui raconte qu’elle s’est vu proposer un emprunt pour une maison à New York sans le moindre apport. Ensuite, quand il apprend que la nourrice jamaïcaine de ses jumeaux est devenue d’un coup propriétaire de six maisons avec sa soeur dans le Queens. Ces deux exemples confortent son intuition : il faut “shorter” – c’est-à-dire parier à la baisse, dans le jargon de Wall Street – les produits financiers liés aux subprimes, ces emprunts immobiliers accordés en rafale à des Américains peu solvables et à l’origine de la crise de 2008.

A travers ces visionnaires, Michael Lewis offre une plongée vertigineuse dans l’incurie et le cynisme de Wall Street : “Le marché aurait pu apprendre une leçon simple : “ne prêtez pas aux gens qui ne peuvent pas rembourser”. Mais à la place, il avait appris une leçon compliquée : vous pouvez toujours accorder ces prêts, faites-les juste disparaître de votre book. Accordez les prêts, puis revendez-les aux départements obligataires des grandes banques d’investissement de Wall Street, qui les assembleront à leur tour sous forme d’obligations hypothécaires qu’elles revendront aux investisseurs.” Et chacun de s’en aller refiler ces produits pourris à d’autres, en engrangeant au passage de plantureux gains.

Cécité

Les pythies de Michael Lewis, elles, cherchent à comprendre ce qui se cache dans ces produits financiers de plus en plus complexes et barbares : CDO, CDO synthétiques, CDO au carré… Et de s’apercevoir très rapidement que presque plus personne ne comprenait réellement ce qu’ils achetaient, vendaient, assuraient ou notaient. Et qu’ils s’en fichaient éperdument. Steve Eisman sort ainsi estomaqué d’un entretien avec le tout-puissant patron de Bank of America de l’époque, Ken Lewis : “Oh mon dieu, il est idiot !”

Jusqu’au jour où des grands noms de la finance américaine – Goldman Sachs en tête – s’apercevront de l’imminence du krach, adopteront des stratégies semblables à celles des “héros” de Michael Lewis et profiteront de la cécité de leurs concurrents.