vf_van_gogh_7051.jpeg_north_520x690_whiteVanity Fair

Non, le peintre le plus célèbre du monde ne s’est pas suicidé. Steven Naifeh et Gregory White Smith en sont convaincus : il a été assassiné. Preuve à l’appui, les deux journalistes reconstituent les dernières heures de l’homme à l’oreille coupée.

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VINGT-NEUF HEURES D’AGONIE
En 2001, quand nous avons eu accès aux archives de la fondation Van Gogh à Amsterdam pour la première fois, nous ne soupçonnions rien de ce qui nous attendait après dix ans passés à essayer d’écrire la biographie de référence sur Vincent Van Gogh. Nous priions simplement qu’il ait été hétérosexuel. En 1998, notre biographie deJackson Pollock s’était attirée la foudre des critiques parce qu’elle concluait que ce peintre si macho avait des tendances homosexuelles (auxquelles il cédait parfois). Les preuves étaient si convaincantes que nous ne pouvions les passer sous silence. Certains critiques s’étaient offusqués, cette « accusation » n’était pour eux qu’un mensonge éhonté. Ils allaient jusqu’à nous soupçonner d’avoir repeint Pollock en rose parce que nous étions gays nous-mêmes, comme une sorte de cooptation posthume. Aussi ridicule qu’ait été cet épisode, nous voulions éviter cela (au risque de gâcher le suspense : Vincent était on ne peut plus hétéro).

Les archives étaient conservées dans un maison de la vieille ville, voisine du musée Van Gogh. On nous avait mis en garde : l’accueil serait glacial. Le peintre est un héros national ; pour qui nous prenions-nous ? Pour commencer, avec ou sans prix Pulitzer, nous ne parlions pas un traître mot de néerlandais. Contre toute attente, Fieke Pabst etMonique Hageman, les deux archivistes, nous ont reçus chaleureusement. Elles ont apporté des piles de documents, toujours accompagnées d’un sourire ou d’un mot d’encouragement – « On s’est dit que cela aussi pourrait vous intéresser. » Nous avons passé des semaines entières à copier dossier sur dossier, dont beaucoup contenaient des pièces en néerlandais uniquement qu’il nous a fallu faire traduire.

Il nous a fallu cinq années de travail acharné pour obtenir le privilège de visiter la « chambre forte » qui se trouvait alors dans les entrailles du muséeVan Gogh. Contre les murs bétonnés de cette vaste pièce sans fenêtre, éclairées seulement par d’impitoyables néons industriels, s’empilaient des caisses en aluminium destinées à acheminer les œuvres vers des expositions dans le monde entier. L’ancien directeur des collections du musée, Sjraar Van Heugen, nous en a ouvert la porte et a glissé sur la table une boîte contenant des dessins réalisés par Van Gogh au début de sa carrière. Il y avait aussi des lettres, les écrits authentiques que nous tenions entre nos mains (gantées). Sur l’un des caissons, le fameux bol en cuivre représenté dans l’une de ses plus célèbres natures mortes. De l’autre côté, le nu en plâtre qui figure sur des dizaines de dessins et peintures. Nous avons soudain pris conscience que nous étions là dans son imaginaire, entourés des objets de sa vie quotidienne et nous nous sentions sous son charme quasi religieux. En même temps, notre plongée dans les archives commençait à saper l’un des piliers de cette foi : les circonstances de la mort de l’artiste.